Le temps de l’hyper-consommateurLe philosophe Gilles Lipovetsky, auteur notamment des ouvrages “Le luxe éternel” et “Les temps hyper-modernes” a l’habitude d’explorer les dimensions contemporaines de la société occidentale.
Invité à apporter son éclairage aux congressistes, Lipovetsky décortique les paradoxes du consommateur moderne.
Pour lui, nos sociétés de consommation se sont transformées en sociétés d’hyper-consommation dans lesquelles l’acheteur effectue ses choix davantage par rapport à lui-même et au temps que par rapport aux autres.
Le modèle de Veblen qui considérait que la consommation était étroitement liée à l’affirmation de l’identité personnelle et à la recherche d’estime sociale, semble désormais moins pertinent. Il en est de même des théories de Baudrillard sur la valeur-signe des produits consommés.
Aujourd’hui, les objets de consommation se sont banalisés et diffusés à l’ensemble du monde social. L’hyper- consommateur recherche des sensations et des satisfactions privées, centrées sur des critères émotionnels plutôt que statutaires.
Cette consommation égoïste s’accompagne d’une recherche de la nouveauté et de l’intensification du présent. Pour autant, on ne peut pas, affirme Lipovetsky, en conclure que notre époque est exclusivement orientée sur le culte des jouissances immédiates.
En effet, le consommateur moderne double sa quête du plaisir instantané par des contraintes qu’il s’impose pour maîtriser son avenir personnel. Les régimes et le recours croissant à la chirurgie esthétique sont des exemples de ces efforts assumés. De même, la consommation subit une médicalisation croissante, avec la recherche des produits censés améliorer le bien-être, la santé et la longévité. Tout en donnant une grande importance au présent immédiat, l’hyper-consommateur affirme donc la dimension du futur personnel.
Paradoxalement, la dimension “passé” trouve également une place croissante, avec le regain des spiritualités, la mise en valeur du patrimoine et le succès des produits rétro ou authentiques. Cette valorisation s’inscrit dans une recherche du bien-être personnel et de la qualité de vie. Elle rejoint un goût croissant pour les produits “intemporels”, incarnés par l’univers du luxe, et qui se placent à l’opposé du” tout-jetable”.
Dans son rapport au temps, l’hyper-consommateur semble atteint d’une sorte de schizophrénie qui le pousse à la fois à vouloir tout, tout de suite et, d’autre part, à rechercher son bien-être dans des activités lentes et méditatives. De même, son hédonisme affiché accompagne paradoxalement un intérêt croissant pour les produits éthiques et les valeurs de protection de l’environnement.
L’hyper-consommateur est donc paradoxal, centré sur son présent mais orienté aussi vers le futur et le passé, ultra-pressé et voulant ralentir le temps, individualiste et altruiste.