Comment le web bouleverse la recherche marketing : De nouvelles façons de travailler Dans une intervention lors du Congrès 2006 de l’ESOMAR qui vient de se dérouler à Londres, Ray Poynter (Virtual Surveys) a mis en exergue 5 changements profonds amenés par l’Internet dans le monde des études :
- Le rôle désormais central des panels pour la constitution des échantillons,
- Le recours croissant des instituts d’études à des prestataires externes pour l’accès aux panélistes et aux outils d’enquêtes web,
- La tendance à la compression globale des délais qui réservent de moins en moins de temps à l’analyse,
- Une disparition du contact humain avec les personnes interrogées,
- Un rapprochement des études avec le CRM et le Marketing Direct.
Reprenons chacun de ces éléments pour analyser la réalité des changements et leurs impacts positifs ou négatifs sur les usages de la profession.

Le recours aux panels Les enquêtes en face-à-face et celles réalisées par téléphone reposent généralement sur des échantillons sélectionnés de manière aléatoire dans la rue ou dans l’annuaire téléphonique.
A l’inverse, les enquêtes en ligne se basent de plus en plus sur des panels de répondants. En effet, la condition pour pouvoir être sollicité pour une enquête en ligne est d’avoir accepté, au préalable, de recevoir une telle sollicitation. Cette précaution est imposée à la fois par la net-étiquette, par les règles et chartes des organisations encadrant le métier des études (Esomar, Syntec, ...), mais également et de plus en plus par les différentes législations nationales. Aucun institut sérieux ne se risquerait à envoyer des mails à des personnes qui ne se sont pas inscrites pour en recevoir (opt-in, par opposition à la méthode bannie de l’opt-out où les personnes doivent demander à être supprimées des bases).
Pour Poynter, cette situation a pour conséquence une certaine “professionnalisation” des répondants. Il cite à ce niveau une enquête réalisée par sa société en 2005 sur des panélistes en ligne Britanniques, Français et Hollandais qui montre que le répondant moyen est membre de 3 à 4 panels et que 75% des panélistes inscrits souhaitent répondre à au moins une enquête par semaine. Au Royaume-Uni, 5% des panélistes appartiennent à 10 panels ou plus !
Alors que les répondants aux enquêtes CATI ou en face-à-face étaient en principe interrogés une ou deux fois par an, les panélistes sur le web arrivent donc à être interrogés plusieurs dizaines de fois dans la même période.
Ce risque jadis brandi par les opposants aux enquêtes web est maintenant assumé dans la profession car l’évolution vers les enquêtes web est tellement inéluctable qu’elle impose des compromis et quelques changements de points de vue.
Beaucoup rappellent que les consommateurs inscrits dans des panels traditionnels sont également interrogés régulièrement, même si le web augmente cette fréquence. Et même si on ne le clame pas haut et fort, on a toujours connu, notamment dans l’univers des enquêtes qualitatives, des “professionnels de l’interview” qui cherchent à se faire un complément de revenus en participant fréquemment à des tables rondes.
L’essentiel demeure tout de même de prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer de la qualité des réponses obtenues aux enquêtes sur le web, que les personnes soient interviewées fréquement ou rarement. Et il y a pour cela des moyens que nous détaillons plus loin dans ce dossier.
L’outsourcing Les sociétés d’études ont eu l’habitude dans le passé de gérer en interne leurs terrains d’études CATI ou face-à-face. Certaines ont même développé des logiciels “maison” pour assurer la gestion de ces opérations.
En se lançant sur les enquêtes web, beaucoup d’instituts ont cherché à reproduire le même schéma et à mettre en place pour cela leurs propres panels d’internautes. Mais la difficulté à constituer et à animer un panel important et la nécessité croissante de disposer de panels multi-pays ont amené les instituts à avoir recours à des sociétés spécialisées dans la gestion de panels internationaux (GMI, Lightspeed Research, ...).
De même, beaucoup d’instituts ont démarré dans les études web en réalisant leurs questionnaires de manière artisanale (éditeur HTML...). Certains ont essayé de développer en interne leur propre solution de génération de questionnaires web. Aujourd’hui, la plupart se sont équipés de logiciels spécialisés (NET-Survey...) ou ont recours à des plate-formes externes proposées par les fournisseurs de panels.
Cette évolution vers la sous-traitance est plus profonde qu’il n’y paraît. Comme l’indique Klaus Wübbenhorst, CEO de GFK, “on aurait craint, il y a sept ou huit ans de voir les sociétés technologiques s’emparer de nos marchés. Mais je crois qu’on a compris aujourd’hui que les mieux armés pour transformer les données en analyses pertinentes sont les instituts d’études, ce qui est très rassurant”. Robert Dossin, vice président d’IMS Health confirme : “C’est la définition des études de marché qui a changé... Une société d’étude sait mieux que quiconque comment analyser les données et quels conseils en tirer.”
Plus sûres d’elles, les sociétés d’études se permettent donc de sous-traiter la partie technologique pour se concentrer sur leur coeur de métier. Cette externalisation commence déjà à avoir un impact en termes de personnel (à la baisse) et de rentabilité (à la hausse) dans les sociétés du secteur. Elle ouvre également de nouvelles perspectives aux petites sociétés du secteur qui peuvent désormais accéder aux mêmes panels et utiliser les mêmes outils logiciels que les instituts internationaux les plus puissants.
Moins de temps et moins de budget Les enquêtes on-line permettent de raccourcir la phase de terrain, mais elles ne changent rien, en principe, pour les autres phases (préparation, traitement, rapport et recommandations...), à moins d’avoir recours aux nouvelles techniques de web-reporting (voir notre article dans ce dossier).
Ainsi, si le terrain de l’étude représente 30% du temps nécessaire à l’ensemble du projet, le fait de le réduire de moitié ne réduit le temps global de l’ensemble de l’étude que de 15%. Pourtant, le client, lui, s’attend à ce qu’un terrain deux fois moins long se traduise par une étude deux fois plus rapide et deux fois moins chère. Cette pression à la baisse est renforcée par la guerre des prix et la surenchère de services auxquelles se livrent les fournisseurs de panels et les nombreux nouveaux entrants sur le marché des études en ligne.
Pour ne pas contrarier leurs clients, les instituts d’études se voient donc de plus en plus contraints de compresser de manière importante les autres phases traditionnelles des projets d’études en termes de temps et de budget. Poynter en conclut que cette compression doit se traduire fatalement par une baisse de la qualité et de la pertinence des études. Mais on peut aussi rétorquer que l’accélération des prestations d’études va dans le sens de l’évolution générale des affaires.
Des prestations plus rapides et moins chères bénéficient non seulement aux clients mais aussi, à terme, à l’ensemble de la profession. Le business moderne a besoin de réponses rapides et fréquentes. En générant une réduction générale des délais, les études on-line répondent à ce besoin et adaptent la profession à cette réalité.
Perte du contact avec les répondants L’un des avantages des enquêtes en ligne par rapport aux méthodes traditionnelles du CATI ou du face-à-face est l’absence d’intervention humaine. Cette configuration réduit les coûts mais entraîne aussi la perte des remontées et des ressentis que les enquêteurs pourraient communiquer aux responsables de l’enquête. Ainsi, une question mal formulée ou une incohérence dans le questionnaire peut passer inaperçu. Personne n’est là pour faire part de l’agacement des interviewés ou de leur impatience dans certaines parties du questionnaire. Bref, on peut craindre parfois une certaine perte de réactivité.
On peut rétorquer qu’un questionnaire réalisé de manière professionnelle et testé comme il se doit avant son lancement ne devrait pas susciter de remontées annexes. En réduisant les interactions humaines, l’enquête web présente l’avantage de réduire les interprétations et les ressentis parfois subjectifs des enquêteurs. En outre, les personnes interrogées se retrouvent dans un cadre neutre et identique, sans influence extérieure liée à la personnalité de l’enquêteur.
Il n’en demeure pas moins que la perte du contact direct peut avoir des conséquences sur la manière avec laquelle les professionnels s’adressent aux répondants. Le risque est de finir par les considérer comme de simples adresses e-mail et de le leur faire sentir. Ce possible biais est maintenant pris en compte et des efforts sont faits pour humaniser au maximum la relation avec les répondants (voir article ci-dessous).
Rapprochements avec le CRM et le marketing direct Beaucoup d’études en ligne sont réalisées sur la base de fichiers clients. Pour Poynter, cela pousse à mélanger le marketing et les études. En effet, à l’ère du one to one et de l’ultra-segmentation des marchés, la tentation est grande de vouloir aller plus loin que la simple investigation statistique pour essayer de prendre en compte les besoins individuels des clients et de chercher à y répondre.
Certains parleront de collusion et de manquements déontologiques. D’autres ne verront pas d’un mauvais oeil la possibilité d’utiliser la collecte de données lors des études pour améliorer les performances marketing et commerciales de l’entreprise, arguant qu’après tout, les études ne sont pas une finalité en soi mais visent à mieux répondre aux besoins des clients.
Comme lors de l’avènement de toute nouvelle technologie, il est tentant dans un premier temps de se focaliser sur les inconvénients qu’elle génère à travers les modifications des habitudes de travail. Les technologies qui s’imposent sont celles dont les avantages finissent par l’emporter. Et ça a tout l’air d’être le cas en ce qui concerne les études en ligne.